Journal d’ un équipier


Première partie

Sur les traces de ZARKO

Ciel clair et limpide, mer vert bouteille, vent frais du nord lorsque nous quittons la petite marina de Lexoes ce 8 aout en début d'aprés midi. Nous hissons la grand voile à l'abri de la digue et à proximité d'un porte conteneur escorté à l'avant et à l'arrière par ses bateaux pilotes.

Nous nous éloignons rapidement de la ville de Porto toute proche dont nous n'apercevons que le pont enjambant le Douro et la grande plage et son énigmatique filet géant qui nous conduit aux interpretations les plus délirantes sur son utilisation (aéroport bis very low cost, vacanciers canonisés etc...)

Heol Braz atteint sa vitesse de croisière et si éole a faibli depuis la veille, l'océan s'agite à la surface. Nous croisons une autoroute maritime en fin d'aprés midi, témoin de l'activité des échanges, marchandises, minerais, combustibles, touristes... Nous apercevons aussi un voilier au loin qui sera le seul que nous verrons en 4 jours et 5 nuits.

Avant le crépuscule, deux victimes, François d'abord suivi par alex. Les 2 compagnons d'infortune, tels des romains après leurs agapes, libérent leurs estomacs incontrolables ...

La vie s'organise à bord pour accomplir les 600 miles qui nous séparent de Porto Santo, petite île au NE de Madére.

Suivi de la route par le GPS, contrôle du vent et de sa force, vitesse du bateau. Le cap enregistré sur le pilote automatique nous libère du suivi manuel de celui-ci.

Gauthier, comme un grand chef sur ses fourneaux, examine la situation, ajoutant une pincée sur le génois, un zeste dans la grand voile, un soupçon sur la barre. L'alchimie fonctionne, le bateau ronronne.

les prévisions météos nous promettent un vent régulier et bien orienté pour toute la traversée.

Nous appliquons à la lettre les consignes de securité. Les quarts de nuit se font avec un gilet de sauvetage, une ligne de vie, une lampe frontale et quelques provisions de bouche. Les plus valides pallient aux absences des autres au prix d'un surcroît de fatigue.

Un grand merci à tous les 3, qui ne perdirent ni leur bonne humeur, ni leur humour dans ces moments comme dans les autres...

Les 2 premières nuits sans lune sont féériques. Jupiter, la première ouvre le bal nocturne suivie par les différentes constellations, Grande et Petite Ourse au N, Cassiopée à l'E, Pégase à l' O, Androméde, Orion et des milliers d'autres étoiles filantes ou non défilent sous nos yeux habitués à l'obscurité.

Sur l'eau nous distinguons quelques lumières qui passent au loin, de plus en plus rares à mesure que nous avançons.

Gauthier, Louis-Pierre et Charlotte s'activent pendant que François et Alex reprennent petit à petit goût à la mer.

Nous prenons en commun un repas chaud par jour. Pâtes, riz, pommes de terre sautées, confit de porc ou de canard. Autant de moments appréciés à leur juste valeur. Merci Charlotte. Le tout arrosé de bière surtout mais aussi de coca et d'eau plate. Le vin est reservé aux plus solides et s'écoule du cubi avec parcimonie...

Le vent fléchissant en milieu de traversée, nous fimes 2 tentatives de Genaker. La premiére fois, nous nous aperçûmes que la rustine sur celui ci prenait l'air et nous le retirâmes avant qu'il ne se déchire d'avantage. la seconde tentative aprés réparation fut interrompue lorsque Gauthier s'aperçut avec effroi que la base de celui ci s'était insérée dans l'enrouleur du génois occasionnant une nouvelle déchirure. La croix celte sur cette voile avait pourtant fiére allure.

Le spinaker resta lui dans son sac, le tangon étant inopérant.

LP profita de son nouvel appareil numérique pour immortaliser les moments forts. Photos ou vidéos selon les circonstances. Le bain en pleine mer qui le fit nager trés vite lorsqu'il découvrit que l'amarre qui le retenait au bateau s'était détachée, les couchers de soleil, le passage des dauphins jouant avec l'étrave du bateau, joyeuse bande sautant dans les vagues ou nageant à l'envers avant d'aller dîner plus loin.

Nous aussi nous traquâmes les poissons. Nous tendions une ligne de chaque coté du bateau lorsque la vitesse le permettait.

Notre perséverance fut récompensée par un succés d'équipe. La ligne posée par F tôt le matin se déroula sous l'effet d'une pression subite devant LP qui confirma la prise. G releva la ligne avec doigté, pendant que LP accrochait un bel espadon de 104cm à l'exterieur du bateau qui fut occis (au cognac, vive la charente !) par F

Dans l'heure qui suivit, il fut vidé, nettoyé, découpé en tranches, mariné aux 2 citrons et à l'huile d'olive et "dégusté" ou "dégousté" selon les convives avec la ratatouille de Quitterie. Hier encore sa queue trônait à l'arriére du bateau.

La dernière journée fut consacrée à la réparation du tangon (vis+colle+colliers) et le vent arriére qui suivit nous permit de tester l'efficacité du dispositif. Voiles en ciseaux (goose winged sails comme disent les anglais) genois tangonné.

L'arrivée sur Porto Santo se fit de nuit (4-5h) dans une atmosphère lourde et lugubre. Montagne noire menaçante, cris d'oiseaux inconnus, crachin, port désert, décibels recrachés par une boite de nuit à l'extrémité de la jetée poussant vers la sortie de supposés jeunes portugais noctambules.

Aprés quelques heures de sommeil, Gauthier part remplir les incontournables formalités auprés de fonctionnaires tatillons aux doigts gourds. Nous entamons une séance de décrassage à la marina. Les senteurs de vanille et de coco dispersent les remugles nauseabonds. G et F partent en ville en éclaireurs dans une camionette portugaise qui faillit nous conduire à la clinique toute proche tant son freinage tardif conduisit le véhicule à chasser dangeureusement sur le coté dans une odeur de caoutchouc fumant.

Nous voila donc dans l'île que découvrit Zarko l'intrépide au 15ème siécle. C'était un petit homme énergique qui voulait forcer son destin. Montagnes pelées, petit village plein de charme ou résida C.COLOMB, baie radieuse de 6 km à l'eau turquoise.

Journée de détente et de farniente sous un soleil généreux .

Le lendemain 14 août, nous partons pour Madére et sa capitale Funchal qui ne cesse de s'étendre sur toutes les collines environnantes. beau temps, bonne mer, navigation en short pour peaufiner notre hâle naissant! Arrivés au port, nous trouvons une excellente place dans la petite marina, au pied d'un escalier. La digue, comme à porto Santo est peinte sur toute sa longueur par des équipages qui se préparent à de longues traversées. témoignages récents ou anciens de marins en quéte d'embruns....

Nous décidons le 15 de faire un grand tour de l'île. l'unique préposée au tourisme nous dissuade de tenter l'expérience, pretextant la fermeture généralisée des magasins et l'absence de véhicules disponibles. Nous persistons quand même et arrivons à louer 3 scooters aux performances inégales. Nous voilà sur les routes sinueues de l'ile. LP peine dans les côtes sur sa monture - puissante mais cela donne la possibilité aux autres d'admirer d'avantage les paysages et la flore de l'île. Bananiers sur les pentes exposées au Sud alternant avec des vignes très hautes dont la canopée dépasse la taille d'un adulte. Les cultures alternent avec les habitations dans une sucession de lacets vertigineux. Nous traversons l'île en franchissant le col d'ENCUMADEA où là comme ailleurs, des milliers d'agapanthes bleues ou blanches et d'hortensias nains tapissent le bord des routes comme le chiendent et les orties dans nos campagnes. Nous déjeunons au N de l'île, à Puerto MONIZ dans une ravissante petite crique aux eaux transparentes. Contraste de cette île, déserte au N et "surpeuplée" au S.

Nous regagnons Funchal en traversant le parc national et ses paysages somptueux aprés avoir parcouru 250km.

Il est déja tard, il nous reste peu de temps pour faire un plein de nourriture et grimper à MONTE voir le coucher de soleil sur le porche de cette belle église enguirlandée et illuminée par l'hommage de fervents portugais pour Marie protectrice de la ville.

Nous nous précipitons dans une folle équipée à travers la ville pour rendre nos 2 roues avant 22 heures, occasionnant ainsi un nombre d'infractions que je ne saurai énumerer faute de temps....

Débarassés de nos casques,nous finissons la soirée sur le port ou nous retrouvons Heol Braz accouplé à deux anglais.

Le lendemain nous quittons la flotte brittanique pour rejoindre les Canaries.

Fin de la premiere partie


Deuxième partie

De la luxuriance au noir désert

A peine avons nous regagné le large que le vent que nous pensions modéré forcit subitement.

Laissant les îles désertes sur notre Est, nous sommes confrontés à un vent de force 5-6 et à une houle longue qui domine le bateau. Nous naviguons vent de travers et ne tardons pas à prendre un ris puis un deuxième pour la nuit qui s'annonce. Nous réduisons la toile sur le génois également.

Les estomacs cognent à nouveau et la vie à bord se minimalise.

L'équilibrisme est de rigueur et tout objet mal rangé traverse le carré à vive allure. Nous nous nourrissons avec ce qui nous tombe sous la main. Inutile de pêcher, nous allons trop vite! entre 6 et 8 noeuds.

Nous avalons les miles aussi vite que LP les tablettes de chocolat entre 4 tartines.

Partis le jeudi matin, nous arrivons à Lanzarott(é) dans la nuit du vendredi au samedi à la marina Rubicon au SO de l'île.

Nous nous effondrons pour quelques heures dans un profond sommeil réparateur.

Pas de casse, pas de bobos, le pilote automatique a parfaitement slalommé dans l'écume.

Aprés d'habituelles formalités prodiguées par une solide batave, nous rejoignons notre place définitive ou nous retrouvons joel dont le bateau nous précédait dans l'atlantique.

Aprés midi au bord de la piscine, apéro copieux commun aux 2 bateaux suivi d'un dîner roboratif. Omelette avec 12 oeufs et 8 pommes de terre arrosées d'un château d'Issan de derrière les coffres. Partie de cartes. La totale !

Le lendemain, nous louons une voiture pour découvrir les lieux.

Cette ile est un enfer ensoleillé, caillouteux et venteux où des damnés, anglais et allemands pour la plupart, viennent expier des péchés inavouables. Les geoliers ont construit ici d'improbables villages ibériques ou chaque maison ressemble à la suivante dans un grignotage incessant du désert lunaire portant le deuil de toute forme de vie.

Tout semble irréel ici, incongru ou comique comme ces dromadaires et leurs cornacs marocains au milieu de nulle part.

les propriétaires qui investissent ici participent à un immense True Man Show grandeur nature.

Seule AGUILA, oasis au centre de l'île et ses palmiers disséminés nous rattache d'un fil à la réalité ainsi que ces tenaces vignerons qui cultivent quelques arpents de vigne dans la cendre de lave et à l'abri d'épais murets de pierre.

Aprés une rapide halte dans la capitale (ARRECIFE) desertée et un déjeûner au bord de d'une plage, nous regagnons notre marina avant de repartir sur la "playa sauvage de los mujeres" ou des trous de mine protégent tant bien que mal les baigneurs non pas des indigènes mais d'un vent de sable qui s'incruste dans tous les orifices non protégés !

Le voyage s'achève pour LP qui regagne Londres dans la soirée.

Idem pour F le lendemain aprés un stop pour voir Alberto, le bel hidalgo vieillissant qui doit coordonner les réparations en l'absence de Gauthier.

Retour à Angoulême via Madrid-Orly-la gare d'Austerlitz pour un train de nuit.

Commentaires à l'intention des futurs équipiers.

En mer, plus qu'ailleurs, on vit au rythme des éléments. Aussi débarassés des scories du quotidien, inutile de s'embarasser de trop de choses. Peu de vêtements mais bien adaptés au vent et à l'humidité. (Pas mal de sous-vêtements par contre par égard pour les autres.)

Il faut oublier le pavé de 800 pages et privilegier les revues, les jeux simples et les quizz.

Abandonner les recettes compliquées pour des plats déja préparés ou des cuissons rapides.

Ne pas ésperer boire une bouteille de vin par jour et par personne. L'exploit sera sans lendemain. Par contre savoir que l'on peut le faire (cf Francis Blanche et Pierre Dac) est déja une satisfaction à venir !

Ne pas jeter à l'eau le mollusque inconscient qui gît sur un plat bord et n'a pour conversation qu'un hoquet inaudible. Espérer simplement qu'un jour la larve se transforme en papillon.

Le bateau est parfaitement équipé (balise, vhf, téléphone satellite, fusées, fumigènes ect..), en cas de problème, pas de souci à se faire de ce coté là. Le test du sextant fait par Gauthier a été parfaitement concluant, même sans électronique nous pourrons rejoindre les antilles. De toute façon comme disait O CROMWELL, "on ne va jamais aussi loin que lorsque l'on ne sait pas ou l'on va"

le 22/08/2007

François